Boulangers : notre confiance est trahie !

Sel, fibres, additifs… la plupart du temps, les consommateurs n’ont aucune information sur la qualité du pain qu’ils achètent. Ils font confiance à leur boulanger. Et ce, parfois, aux dépens de leur santé.

Nutrition : Des qualités très variables

Les apports en sel et en fibres varient fortement, à la fois selon le type de pain choisi et le lieu d’achat. La preuve avec le meilleur et le pire des 111 pains que nous avons analysés.

Que savez-vous de la composition du pain que vous mangez chaque jour ? À Que Choisir, nous parions que la réponse est « rien ». Comme beaucoup de Français, vous achetez votre baguette ou votre boule chez un artisan boulanger, dans une enseigne du type La Mie Câline ou Marie Blachère, ou au rayon dédié de votre hypermarché. Des lieux où, la plupart du temps, aucune information ne vous est fournie sur les quantités de sel et de fibres ou les ingrédients utilisés.

Ce manque de transparence vous inquiète-t-il ? Gageons, cette fois, que vous nous répondrez « non ». Si l’on en croit un sondage datant de 2017, 90 % des consommateurs font en effet confiance à leur artisan boulanger. Si vous appartenez à cette catégorie, vous risquez cependant bientôt de changer d’avis. Car nos analyses sur une centaine de pains (lire « Comment nous avons procédé » ci-dessus) révèlent que cette confiance est loin d’être toujours méritée. Que ce soit chez les commerçants indépendants, dans les chaînes ou en grande distribution, nous avons découvert que la qualité nutritionnelle était très rarement au rendez-vous.

Plus salés que les chips

Premier problème : certains artisans ont la main très lourde sur le sel. Or, ce dernier est suspecté de favoriser les cancers de l’estomac et de provoquer, dans notre pays, plusieurs dizaines de milliers de morts par accident vasculaire tous les ans. Étant donné qu’en France, c’est le pain qui constitue la première source de sel dans notre alimentation, autant dire que l’enjeu de santé publique s’avère majeur. Pourtant, nos résultats montrent que, pour un type de produit identique, les teneurs varient quasiment du simple au double en fonction du lieu d’achat. Preuve que nombre de commerçants n’ont cure de leur responsabilité en la matière. Certains vendent des pains dont le taux de sel peut atteindre des sommets. Par exemple, une demi-baguette blanche achetée dans une bou­langerie Louise de Seine-et-Marne suffit à fournir 45 % des maximums quotidiens recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est plus que beaucoup de paquets de chips !

Les pains de campagne et complets font un peu mieux. Cependant, à quantité équivalente, ils peuvent tout de même apporter, pour les points de vente les moins recommandables (en l’occurrence, un Intermarché des Landes et une boulangerie Louise située dans les Vosges), plus du tiers des plafonds journaliers préconisés. Et ne vous faites pas d’illusions : ce n’est pas parce que votre artisan vous appelle par votre prénom qu’il prendra mieux soin de vos artères. Les 21 pains de boulangeries indépendantes que nous avons testés présentaient, en moyenne, des teneurs en sel au moins aussi ­élevées que celles enregistrées dans la grande distribution et les chaînes spécialisées.

Nos calculs suggèrent que si aucun fabricant n’excédait les taux relevés dans les 5 % de pains les plus sobres en sel de notre échantillon (retrouvés dans un Lidl de Meurthe- et-Moselle, mais aussi dans un Carrefour, un Auchan et une boulangerie Marie Blachère), chaque Français pourrait ingérer quotidiennement jusqu’à un demi-gramme de sel en moins. De quoi éviter probablement un grand nombre d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux… Malheureusement, cela n’est pas à l’ordre du jour.

Simple engagement moral

Certes, les principaux acteurs de la filière ont signé, l’année dernière, un accord établissant enfin des plafonds aux teneurs en sel du pain, auxquels les boulangers seront tenus de se conformer dans les mois ou les années à venir. Mais celui-ci repose sur le volontariat. Or, ce texte anticipe déjà la « difficulté à engager de manière efficace la totalité des artisans boulangers concernés ». Les maximums fixés, même s’ils étaient parfaitement respectés, ne renverseraient de toute façon pas la table. Dans notre échantillon, seul un pain sur sept les dépassait, et de peu. « Cela ne changera rien », prédit Christian Rémésy, ancien chercheur en nutrition à l’Institut national de la recherche agronomique (l’Inra, devenu Inrae) et auteur de Sauvons le pain (Thierry Souccar Éditions). Ce dernier rappelle d’ailleurs que « dans plusieurs pays, notamment le Portugal et la Belgique, des limites plus strictes sur le taux de sel dans la farine ont été inscrites dans la loi ».

Acheter sa baguette chez un artisan boulanger ne garantit pas qu’elle soit sans additifs.

Augmenter le temps de cuisson ou de fermentation

Pourquoi la France n’a-t-elle pas suivi cet exemple ? Afin de ne pas « détourner [les consommateurs] de ces produits emblématiques de la gastronomie française » et de « s’assurer de proposer des objectifs atteignables pour l’ensemble des boulangers », répond le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Pourtant, « il serait possible de diminuer un peu plus », reconnaît Dominique Anract, le président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (la CNBPF, qui représente les artisans boulangers). « On peut compenser la baisse du sel en laissant le levain fermenter plus longtemps, ou encore en augmentant le temps de cuisson… D’ailleurs, dans certains pains spéciaux, par exemple ceux aux céréales ou aux lardons, quand on oublie de mettre du sel, les clients ne se plaignent pas forcément. C’est avant tout une question d’habitude », poursuit-il.

Pour quelle raison le gouvernement se contente-t-il d’engagements moraux de la part des boulangers plutôt que de leur imposer des maximums par la loi ? « Le fait que l’initiative vienne des professionnels eux-mêmes, en incluant l’ensemble du secteur, leur permet une meilleure appropriation et une meilleure acceptation », ­argumente-t-on au ministère de l’Agriculture. « Des plafonds réglementaires ne nous dérangeraient pas, car tout le monde serait logé à la même enseigne », affirme cependant Dominique Anract.

En l’absence de limites strictes, garantissant à tous les Français des teneurs en sel raisonnables dans leur pain, une demi-mesure demeure possible : l’obligation d’afficher les valeurs nutritionnelles. Une telle solution, à défaut de protéger l’ensemble des consommateurs, permettrait déjà aux plus vigilants et fortunés d’entre eux de faire des meilleurs choix. Et pousserait par la même occasion certains boulangers à s’améliorer (c’est ce qui semble s’être produit avec les pains industriels emballés, lire l’encadré ci-dessous). Le ministère de la Santé prévoyait d’ailleurs, dans son Programme national nutrition santé 2019-2023, d’« étendre le Nutri-Score aux produits en vrac », et citait en exemple le pain.

Pains emballés • Ça s’améliore

L’absence d’étiquetage des valeurs nutritionnelles et de liste d’ingrédients ne pousse pas les boulangers à revoir leurs recettes. À l’inverse, la qualité des pains industriels emballés choisis par les Français, sur lesquels ces informations sont indiquées, semble s’améliorer. Un rapport de l’Observatoire de l’alimentation (Oqali), publié en 2022, montre en effet une tendance, dans les 10 années précédentes, à la baisse de la quantité de sel et à la hausse du taux de fibres pour plusieurs catégories de pains industriels (pains de mie complets, aux céréales ou aux graines, pains précuits et pains préemballés, en particulier). En 2019, l’Oqali pointait aussi une augmentation du nombre de produits de « panification croustillante et moelleuse » (pains et biscottes, donc) formulés sans aucun additif.

Le Nutri-Score A reste rare

Bien sûr, la marge de progrès reste importante dans les supermarchés. Sur l’équilibre nutritionnel, d’abord. Un rapport publié l’année dernière par le comité scientifique en charge du développement de Nutri-Score montre qu’avec un nouveau mode de calcul, qui devrait bientôt s’imposer, peu de références industrielles décrocheraient un Nutri-Score A, et la plupart seraient classées C. Pourquoi ? Notamment, parce qu’une grande partie des pains de mie se prétendant complets intègrent en réalité une quantité très faible de farine complète, par rapport à la farine raffinée. Concernant les additifs, ensuite, il faut savoir que certains pains industriels en comportent sans le dire. C’est le cas avec l’extrait d’acérola, qui est présenté comme un ingrédient alors qu’il joue en fait un rôle antioxydant. Morale de l’histoire : pour qu’un étiquetage soit utile, encore faut-il qu’il soit honnête ! C’est la mission des autorités de s’en assurer.

Le consommateur mal informé

Cette ambition n’a toujours pas été concrétisée, même si « des études pilotes ont été conduites » et « des travaux sont en cours afin d’élaborer un cadre juridique et opérationnel », d’après la Direction générale de la santé. Un retard d’autant plus regrettable pour les consommateurs que ces derniers seraient sûrement surpris de découvrir la véritable valeur nutritionnelle de leur pain. Nos analyses sur les 111 produits de notre sélection indiquent en effet que les pains complets reçoivent un Nutri-Score (calculé avec un nouvel algorithme bientôt en vigueur) de A à C, ceux de campagne, de B à C, et les baguettes blanches, de C à D. Ces écarts considérables ne s’expliquent pas seulement par les doses de sel très différentes que les boulangers ajoutent dans leurs pâtes. Les teneurs en fibres – ces composés qui protègent du cancer, des maladies cardio­vasculaires et du diabète – varient également en fonction des types de pains et des boulangers. Une demi-baguette peut ainsi procurer de 9 à 24 % des apports quotidiens recommandés en fibres, contre 9 à 28 % pour une quantité équivalente de pain de campagne, et de 13 à 37 % pour le pain complet. Sachant que la plupart des Français ne consomment pas assez de fibres, l’usage de farines moins raffinées par les boulangers pourrait donc avoir d’importants bénéfices en matière de santé publique.

Malheureusement, aucun des pains prélevés en chaîne ou chez un boulanger indépendant ne détaillait ses valeurs nutritionnelles. Et seulement un quart de ceux achetés en grande distribution livrait ces indications. Le Nutri-Score, lui, n’apparaissait que sur certains produits de Système U. Quant à la liste des ingrédients, elle ne figurait que sur la moitié des pains échantillonnés en hypermarchés. Côté enseignes spécialisées, seule Paul placarde la recette de ses pains en vitrine. Chez les indépendants, enfin, rien n’était affiché. « Ce serait possible », admet pourtant Dominique Anract, « mais cela ne plaît pas aux consommateurs, car ça fait industriel. »

Des additifs dans les recettes

C’est vrai qu’au vu des additifs qu’on peut trouver dans le pain, certains clients pourraient perdre l’appétit… En grande distribution, plus des deux tiers des produits renfermaient des additifs (sans compter les substances non déclarées, type enzymes et auxiliaires technologiques). Nous avons notamment déniché, dans une dizaine de baguettes blanches, de pains complets et de pains de campagne, des mono et digly­cérides d’acides gras, qui sont des émulsifiants soupçonnés de favoriser l’inflammation intestinale, et par là même diverses maladies telles que le diabète ou le cancer du côlon. Parmi les chaînes, Louise et La Mie Câline emploient des additifs, dont certains, chez la première, sont franchement indésirables (lire nos résultats).

Quid des indépendants ? À défaut de faire mieux sur le plan nutritionnel, se distinguent-ils en choisissant de meilleurs ingrédients ? Aucun des artisans à qui nous avons posé la question ne nous a donné la composition de sa recette. Nous avons donc demandé à Dominique Anract. Ce dernier avoue que « certains pains spéciaux, aux graines par exemple, sont fabriqués avec des “mixes” [assemblages de farine] qui peuvent contenir des additifs ». Il assure néanmoins qu’« en ce qui concerne le pain courant, la grande majorité des artisans boulangers vendent leur propre production et ne recourent pas aux additifs ». Christophe Vasseur, fondateur de la boulangerie parisienne Du pain et des idées, qui proscrit tout additif dans ses produits, ne dresse pas le même constat : « La plupart des boulangers indépendants s’en servent, pour n’importe quel type de pain. Cela leur permet d’intensifier le pétrissage afin de gagner en volume, mais aussi de raccourcir le temps de fermentation… si vous fouillez leurs poubelles, vous verrez bien ce qu’ils utilisent ! »

Nous avons préféré (nous espérons que vous comprendrez, cher lecteur) fureter sur les sites internet de leurs fournisseurs. On y trouve effectivement, à côté de farines pures, des dizaines de mélanges comportant, à eux tous, pas moins de 13 additifs différents : parmi eux, des mono et diglycérides d’acides gras, mais également d’autres molécules décriées comme la gomme de cellulose, le monostéarate de sorbitane ou encore les triphosphates. Et si certains additifs étaient réservés aux préparations pour pains spéciaux, d’autres se destinaient clairement à celles de pains courants. Alors, évidemment, chaque artisan est libre de les incorporer ou non… sauf que le client, lui, n’en saura jamais rien : seule l’appellation « tradition » lui garantit l’absence d’additifs.

Malbouffe à tous les repas

En résumé, vous achetez peut-être tous les matins ou tous les soirs, depuis des années, chez votre boulanger, une baguette au Nutri-Score D et saupoudrée d’additifs. De la malbouffe, en somme. Chaude, croustillante et tout juste sortie du fournil… mais de la malbouffe quand même. « C’est scandaleux, ce manque à la fois de contraintes et d’informations sur un produit que l’on consomme chaque jour de notre vie », dénonce Christian Rémésy. En attendant que les pouvoirs publics s’emparent du problème, et que les recettes du pain soient à la fois mieux encadrées et plus transparentes, rappelons donc quelques conseils de base afin de préserver sa santé : éviter la baguette blanche, privilégier les pains à la farine complète (de préférence bio, pour échapper aux résidus de pesticides)… et faire attention, bien sûr, à ce que l’on tartine dessus !

Pour y voir plus clair

Boulangerie
Cette appellation protégée par la loi signifie que le pain est pétri sur place, par opposition au terminal de cuisson, où les pâtons arrivent surgelés et sont seulement cuits en boutique. On trouve des boulangeries et des terminaux de cuisson aussi bien parmi les indépendants que dans les chaînes spécialisées et les hypermarchés. Si vous avez un doute, n’hésitez pas à poser la question.

Pain de tradition/baguette de tradition
L’appellation « tradition » est encadrée par une réglementation spécifique, qui interdit notamment l’usage de tout additif et la congélation.

Pain blanc
Il s’agit d’un pain réalisé avec une farine raffinée de type T55 ou T65.

Pain complet/pain intégral
Ce pain est confectionné avec une farine complète de type T150.

Pain bis
Il est préparé avec une farine semi-complète de type T80 ou T110.

Pain de campagne
L’appellation « campagne » n’est encadrée par aucune réglementation. Cependant, elle fait généralement référence à un pain composé d’une farine moins raffinée, et qui contient souvent de la farine de seigle et du levain, apportant un goût caractéristique.

Elsa Abdoun et Léa Girard

Pour marque-pages : Permaliens.

Un Commentaire

  1. Merci et bravo pour cet article
    Christian Dierick
    adhérent UFC

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